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Espèces invasives : une menace qui pèse sur la biodiversité

Les espèces invasives, souvent le fruit d'une introduction volontaire ou accidentelle par l'homme, sont présentes dans de nombreux endroits de notre planète. Des poissons-lions en Guadeloupe au palétuvier invasif de Pearl Harbor, ce phénomène documenté par notre équipage pourrait passer inaperçu s'il n'était pas l'une des principales causes de perte de biodiversité dans le monde. Katia Nicolet, biologiste marin à bord d'Energy Observer, s’en explique.

Une espèce invasive est un organisme introduit en dehors de sa répartition naturelle qui a un impact négatif sur son nouvel environnement. Cela peut concerner des plantes, des animaux, des champignons et des microbes. Cependant, toutes les espèces introduites ne deviennent pas invasives. Certaines ne s'adaptent pas à leur nouvel habitat et disparaissent, d'autres survivent mais leur présence ne modifie pas l'écosystème. Les espèces caractérisées comme invasives menacent la biodiversité et causent des dommages écologiques, environnementaux et économiques en raison de leur expansion.

À l’origine : le facteur humain

Si certains organismes se dispersent naturellement en dehors de leur aire de répartition, l'homme a considérablement augmenté le taux, l'ampleur et l'étendue géographique de cette dispersion. Cette introduction facilitée par l'homme peut être volontaire ou accidentelle. Dès les prémices de l’exploration de nouveaux territoires, les hommes ont apporté avec eux des espèces animales et végétales (chiens, chats, cochons, chèvres, vaches, maïs, blé, légumes, fleurs ornementales, etc.) ; certaines espèces, telles que les cochons sauvages et les chats domestiques, ont ainsi causé des dommages catastrophiques à leurs nouveaux habitats.

Les rats et autres rongeurs sont un exemple d'introduction accidentelle. Ils montent souvent à bord des navires (pour le plus grand malheur de l'équipage), et atterrissent à l’escale suivante, souvent à l'autre bout du monde. On pense que le rat brun (ou commun) est originaire du nord de la Chine, mais il s'est maintenant répandu sur tous les continents, sauf l'Antarctique !

Les Nations unies considèrent que les espèces invasives sont l'une des principales causes de la perte de biodiversité dans le monde. En outre, ces espèces coûteraient à l'économie mondiale quelque 1 400 milliards de dollars chaque année.

À terre : le crapaud buffle, une espèce très envahissante

Le crapaud buffle est un grand amphibien vénéneux originaire d'Amérique du Sud, qui a été introduit volontairement dans de nombreux pays (États-Unis, Hawaï, Guam, Philippines, Caraïbes, Australie et ailleurs) et est désormais considéré comme l'une des pires espèces envahissantes au monde. Les crapauds buffles se nourrissent principalement d'insectes et ont été introduits comme moyen de contrôle de certains parasites agricoles.

On espérait qu'ils mangeraient les coléoptères de la canne à sucre, qui se nourrissent des racines de la plante et détruisent les cultures. En 1935, le gouvernement australien a ainsi relâché 2 400 individus dans le nord du Queensland. Au final, lesdits crapauds n’ont pas mangé les coléoptères de la canne à sucre... mais à peu près tout le reste ! Sans prédateurs naturels, ils sont maintenant des millions et se dispersent à une vitesse de 40 à 60 km par an dans tout le nord de l'Australie.

La raison de leur dispersion rapide est leur toxicité. Les crapauds buffles sécrètent un poison (appelé bufotoxine) à partir de glandes situées derrière leur tête. Ce poison affecte le cœur et est si puissant qu'il tue tout animal qui mord, lèche ou mange le crapaud. Pour ne rien arranger, leurs œufs et leurs têtards sont également toxiques ! En Australie, ils ont provoqué le déclin et l'extinction de plusieurs espèces de prédateurs indigènes, dont le chat marsupial du nord.

En mer : le poisson-lion, terreur sur le récif

Le poisson-lion est un autre exemple bien connu d'espèce envahissante. Ce poisson de récif venimeux présente des couleurs vives avec des bandes rouges, blanches et noires, ce qui le rend très attrayant à l'œil et en fait un bel ajout à tout aquarium. Son appétit féroce aura cependant raison de toutes les autres espèces de son bocal, appuyant la théorie selon laquelle cet animal aurait été relâché dans la nature par des aquariophiles mécontents. Le poisson-lion est originaire du Pacifique, de l'océan Indien et de la mer Rouge, mais on le trouve maintenant dans l'Atlantique, le golfe du Mexique, les Caraïbes et la Méditerranée.

Sa propagation rapide s'explique, là encore, par l'absence de prédateurs naturels en dehors de leur aire de répartition d’origine et par leurs épines venimeuses, qui les rendent immangeables et dangereux pour la plupart des espèces. Le pire, c'est qu'ils sont voraces et mangent une quantité incroyable d'invertébrés, de mollusques, de petits poissons et d'alevins.

Une étude a permis de découvrir jusqu'à six espèces différentes de proies dans un seul estomac ; d’après une autre étude, un seul poisson-lion peut réduire de 80 % le recrutement de poissons indigènes sur un récif ! Tout en tuant et en réduisant le nombre de petits poissons, ils ont également un impact sur les grands prédateurs comme les vivaneaux et les mérous en consommant leurs proies naturelles.

Un exemple de riposte : l'île Macquarie

Le projet d'éradication des nuisibles de l'île Macquarie est le plus grand programme d'éradication jamais tenté pour les rongeurs ; il a été déclaré comme réussi en 2014 après 7 ans de travail intense. L'île Macquarie se trouve à mi-chemin entre l'Australie et l'Antarctique et abrite une faune unique, notamment des éléphants de mer, des otaries à fourrure, des manchots et de nombreux autres oiseaux marins. Cette grande île de 34 km de long sur 5 km de large était infestée de lapins, de rats et de souris qui dévastaient la végétation, provoquaient une forte érosion et s'attaquaient aux œufs et aux poussins des oiseaux indigènes.

En 2007, le gouvernement australien a financé un projet de 25 millions de dollars qui devait durer 7 ans avec pour objectif d’éradiquer tous les parasites. Le projet comprenait plusieurs phases, avec le lâcher d'appâts toxiques par hélicoptère et l'introduction d'un virus ciblant uniquement les lapins. Une fois que la population de rongeurs a chuté de 80 à 90 %, les individus restants ont été traqués sur toute l'île par des équipes de pisteurs et leurs chiens de chasse. Ces hommes, femmes et chiens dévoués ont parcouru l'île jour et nuit, couvrant un total de 92 000 km en l'espace de deux ans, dans des conditions parmi les plus difficiles de la planète.

Compte tenu des dégâts écologiques causés par les espèces envahissantes et de l'impact économique de leur éradication, mieux vaut s’abstenir de toute introduction de nouvelles espèces... et laisser libre cours à la nature !