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Les mangroves, un refuge de biodiversité en danger

Forêt unique adaptée à l’extrême salinité du milieu marin, puit de carbone, écosystème complexe et refuge pour les alevins : le rôle des mangroves est multiple et essentiel pour la survie de nombreuses espèces végétales et animales. Pourtant, plus de 35% des mangroves ont disparu ces 20 dernières années à travers le monde.

Nous profitons de la présence de notre équipage en Guadeloupe pour partager un état des lieux des mangroves aujourd’hui et pourquoi il est urgent de les protéger. Par Katia Nicolet, conseillère scientifique à bord d’Energy Observer.

L'équipage en kayak dans la mangrove

Raconte-moi les mangroves

Les mangroves sont des écosystèmes composés de palétuviers, des arbres capables de pousser dans les zones intertidales de balancement des marées où le sol est régulièrement recouvert de sel. Certaines espèces voient même leurs racines immergées dans l’eau de mer deux fois par jour. Ces palétuviers ne sont pas nécessairement évolutivement proches, mais ont développé des adaptations similaires pour survivre dans ces environnements riches en sel et pauvres en oxygène.

Ces écosystèmes de mangroves occupent le littoral tropical et subtropical principalement entre les latitudes 25˚ N et 25˚ S. Le facteur limitant leur distribution est la température, les palétuviers ne supportant pas le gel, ne serait-ce que pour quelques heures.

Mangroves avec un oiseau

L’adaptation des espèces : un problème salé

Très peu de plantes sont capables de vivre dans un environnement à forte concentration de sel, parce que ce dernier force les molécules d’eau à sortir des cellules végétales, asséchant les tissus et tuant la plante. Ce processus est l’osmose, où l’eau passe naturellement des solutions pauvres en sel vers des solutions à forte concentration de sel afin d’équilibrer les deux dissolutions. Mais les palétuviers sont capables de boire de l’eau de mer et survivre, comment ?

Différentes espèces de palétuviers solutionnent ce problème salé de différentes façons. Certaines espèces évitent l’entrée du sel dans l’organisme, filtrant jusqu’à 90% du sel de l’eau, évitant ainsi les problèmes d’osmose. Néanmoins, la plupart des palétuviers se débarrassent du sel une fois que celui-ci est déjà dans l’organisme. Les espèces d’Avicennia par exemple, excrètent le sel à travers des glandes spécialisées à la base de leurs feuilles. Il est possible de voir ces cristaux de sels à l’œil nu sur le dessous des feuilles avant que la pluie ne vienne les emporter. D’autres espèces accumulent l’excédent de sel dans certaines feuilles qui deviennent jaunes, et sont finalement sacrifiées, se détachant de l’arbre et éliminant le sel dans le même temps.

À la recherche de l’oxygène

Le sol dans les écosystèmes de mangroves constitue un autre challenge pour les palétuviers car il est constamment gorgé d’eau et donc très pauvre en oxygène. Toutes les plantes ont besoin de « respirer », c’est-à-dire de faire un échange gazeux au niveau de leurs racines, ce qui est impossible dans la boue anoxique des mangroves. Pour parer à ce problème, et au fait que les racines sont régulièrement submergées, le système racinaire des palétuviers est très peu profond. Certaines espèces, comme les Rhizophora, projettent des racines échasses sur les côtés de leur tronc. Ses racines se courbent et retombent au sol, maximisant leur surface aérienne avant d’atteindre l’eau. Elles sont couvertes de petits pores, les lenticelles, qui permettent l’échange gazeux et donc la respiration.

  • Photo d'une mangrove
  • Vue sous-marine des mangroves avec un poisson
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D’autres espèces ont leurs racines dans le sol, mais projettent des excroissances verticales, exactement comme des tubas qui vont chercher l’oxygène en surface. Ces excroissances sont appelées des pneumatophores et sont également couvertes de lenticelles.

Une importance de taille

Les palétuviers poussent à la frontière entre le monde marin et terrestre, et cette spécificité les rendent indispensables à la protection du littoral. Les racines échasses brisent l’énergie des vagues, rendent les eaux plus calmes à l’intérieur de la mangrove et permettent la déposition de sédiments et particules fines. Les polluants et métaux lourds sont aussi piégés avec les particules et se déposent dans la vase. Les palétuviers absorbent également l’excédent de nutriments provenant du ruissèlement terrestre, dépolluant l’eau et contribuant ainsi à la bonne santé des récifs et des herbiers marins.

Les écosystèmes de mangroves sont aussi de véritables puits de carbone, un rôle primordial pour la régulation du climat. Les palétuviers, comme toutes les plantes, transforment le carbone atmosphérique en matière organique, ce qui leur permet de pousser. Mais quand ces palétuviers meurent, leur dépouille n’est pas décomposée, mais enfouie dans la boue sous la surface de l’eau. Le carbone est piégé sous les sédiments anoxiques ce qui empêche son émission dans l’atmosphère. Il est estimé que les mangroves du monde entier stockent 34 millions de tonnes de carbone par an.

Enfin, les mangroves sont de véritables nurseries pour une variété d’espèces de poissons, mais aussi un habitat pour des centaines d’oiseaux, de reptiles, de poissons, de crustacés et d’autres invertébrés. Cette biodiversité est une source de richesse pour les humains qui vivent à proximité. En plus des espèces comestibles, l’écosystème fournit du bois de construction, du charbon, des dérivés pour la fabrication de savon, cosmétiques et parfums ainsi que des éléments chimiques utilisés dans la création de médicaments. Pour tous ces services que les mangroves fournissent, elles sont estimées globalement à plus de 1600 milliards de dollars.

Un écosystème menacé par... les fermes à crevettes

Les mangroves disparaissent à une vitesse alarmante dans toutes les régions du monde. Plus de 35% de toutes les mangroves ont disparu ces 20 dernières années. La vitesse de déforestation varie d’une région à l’autre et peut atteindre 70% par endroits. La plus grosse problématique actuelle est l’émergence des fermes à crevette qui, à elles-seules, sont responsables de plus d’un tiers de la destruction des mangroves. Les palétuviers sont coupés pour permettre la création de bassins. Ces bassins sont asséchés pour la récolte des crevettes tous les 6 mois environ, et les eaux toxiques des cultures, saturées en pesticides, antibiotiques et nutriments sont relâchées dans les eaux alentours. Au fil des ans, l’accumulation des toxines est telle que les bassins doivent être abandonnés. Là où trônait autrefois un écosystème riche et diversifié, seul un terrain pollué reste.

Cette industrie de la crevette est une réponse directe à la demande grandissante des marchés européens, chinois, japonais et américain. En 1990, la production mondiale de crevettes était de 13 millions de tonnes, un chiffre qui a depuis atteint les 74 millions (2019). Les projections sont encore plus alarmantes : 92 millions en 2022.

Malheureusement, la pêche à la crevette sauvage n’est pas une solution durable non plus à l’heure actuelle. Les chalutiers raclent les fonds marins, remontant dans leurs filets entre 60 et 98% de “by catch” – des espèces indésirables tels que des poissons, requins, tortues, crustacés, bivalves et coraux. Cette technique de pêche résulte en des dizaines de millions de tonnes d’animaux tués et rejetés à la mer chaque année.

Quelles actions à l’échelle individuelle ?

Afin de protéger les mangroves et leur donner un futur, il nous faut, nous consommateurs, réaliser la valeur de la nourriture qui finit dans nos assiettes. La valeur marchande de nos aliments, mais également le coût écologique occasionné. Cela ne veut pas dire qu’il nous faut arrêter complètement notre consommation de viandes, de poissons et de fruits de mer, mais il nous faut enrayer ce système de surconsommation dans lequel nous nous trouvons. Il nous faut voir un steak, un filet de thon ou une crevette pour ce qu’ils sont vraiment, c’est à dire un bien précieux.

Et redonner la valeur aux produits de tous les jours, pour réfléchir à deux fois avant d’acheter des crevettes surgelées dans une grande surface.

Photo en drone de la mangrove

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