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Les arbres et forêts, à la racine de la captation de carbone

L'augmentation rapide du carbone dans l’atmosphère causé par les activités humaines réchauffe la Terre et modifie notre climat. Si les solutions pour pallier le changement climatique sont complexes et multiples, certaines se trouvent juste sous nos yeux : en capturant le carbone atmosphérique, les arbres et forêts ont un immense potentiel de régulation du climat et de restauration des habitats naturels. Explications avec Dr Katia Nicolet, scientifique embarquée à bord d’Energy Observer.

L’histoire d’un immense gâchis

Les émissions anthropiques de CO2, c'est-à-dire la quantité de CO2 provenant des activités humaines, ont atteint 40 milliards de tonnes par an. 40 000 000 000 de tonnes de carbone sont ainsi relâchées chaque année dans notre atmosphère, à cause de la combustion d’énergies fossiles.

Cette augmentation du carbone dans l’atmosphère est à l’origine du réchauffement de notre planète et du dérèglement climatique. Les écosystèmes de la planète absorbent environ la moitié de nos émissions anthropiques, notamment grâce aux forêts et aux océans, mais avec des conséquences dramatiques telle que l'acidification des océans. Une régulation du climat offerte par la nature qui est sur le point de s'épuiser.

Entre 1900 et 2020, la concentration atmosphérique de CO2 est passée de 296 à 412 ppm (parties par million), entraînant une augmentation de 2˚ C des températures à l'échelle mondiale depuis l'ère préindustrielle. La vitesse de ce réchauffement a également doublé au cours des 40 dernières années.

Et les conséquences de ce réchauffement sont déjà visibles : les 10 années les plus chaudes jamais enregistrées ont eu lieu depuis 2005. Autrement dit, 10 des 15 dernières années ont été les plus chaudes de l'histoire...

“Notre planète se réchauffe de plus en plus vite, non pas à cause de cycles naturels du soleil, de la Terre ou des étoiles, mais à cause de nous.”

Résoudre une telle situation nous incombe avant tout, pas seulement pour la pérennité de notre biosphère, mais aussi pour assurer notre propre survie.

Le seul moyen significatif pour réduire radicalement nos émissions et atteindre la neutralité carbone d'ici à 2050, est d’abandonner les combustibles fossiles au profit des énergies vertes, durables et renouvelables. D’un point de vue pragmatique, cet objectif sera plus difficile à atteindre pour certaines industries que pour d’autres, qui continueront à émettre de grandes quantités de CO2 dans notre atmosphère pendant un certain nombre d’années.

Durant cette période de transition, il est nécessaire de ralentir la flambée des températures en séquestrant l'excès de carbone atmosphérique sous forme solide ou liquide.

Les arbres, une solution ancestrale toujours d’actualité

Selon le Groupe d'Experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC), l'humanité doit retirer 730 milliards de tonnes de CO2 de l'atmosphère d'ici la fin du siècle pour éviter les pires effets du changement climatique.

Sans surprise, des centaines de nouvelles technologies sont testées : des ventilateurs géants qui aspirent le CO2 de l'air, des réactions chimiques complexes pour transformer le carbone atmosphérique sous forme solide ou liquide, des foreuses et des machines démesurées qui injectent ledit carbone dans les aquifères et les couches profondes de la terre.

Des “solutions” qui engendrent toujours plus d’extraction de ressources des sols, de transformation de matériaux en usines, et de consommation d’énergie, tout cela dans le but de réduire la pollution générée par l'utilisation d’énergie dans le passé.

Mais dans cette course aux solutions toujours plus innovantes, nous avons perdu de vue la plus simple d’entre elles, offerte par la nature depuis des milliards d'années : la photosynthèse.

Les arbres pourraient être parmi nos meilleurs alliés dans la lutte contre le changement climatique.

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Une étude récente publiée dans Nature Climate Change (1) a révélé que les forêts absorbent un volume net de 7,6 milliards de tonnes de CO2 par an, créant ainsi un puit de carbone.

Les plantes absorbent le CO2 de l'air et le transforment en sucre, composant de base de leur bois, leurs feuilles et leurs racines. Lorsque la végétation meurt, les bactéries et les champignons du sol décomposent la matière organique et rejettent une partie de ce CO2 dans l'atmosphère. Une portion de ce carbone est néanmoins séquestrée dans le sol et n'est jamais libéré dans l'atmosphère.

Ensemble, les plantes terrestres et les sols contiennent environ 2 500 milliards de tonnes de carbone, soit environ trois fois plus que ce qui est aujourd'hui retenu dans l'atmosphère.

Malheureusement, si l’on coupe ou brûle la forêt (pour l'agriculture, les pâturages, le développement urbain), le carbone stocké dans le bois et le sol est libéré. Selon l'Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, une grande partie des forêts primaires du monde a déjà été détruite, et on estime que 7,3 millions d'hectares de forêts disparaissent chaque année.

Dans les tropiques, environ la moitié des forêts tropicales ont déjà été rasées, à tel point que des écosystèmes entiers, autrefois puits de carbone, deviennent émetteurs de CO2.

Puits ou sources de carbone ?

Le monde compte trois grandes forêts tropicales humides, qui sont collectivement responsables d'une plus grande séquestration du carbone que les forêts tempérées ou boréales. Elles sont situées en Amazonie, dans le bassin du fleuve Congo et en Asie du Sud-Est. Aujourd'hui, seule la forêt du Congo est un puit de carbone net important (elle séquestre 600 millions de tonnes de CO2 par an).Au cours des 20 dernières années, les forêts pluviales tourbeuses d'Asie du Sud-Est ont été une source de carbone en raison du défrichage pour les plantations et des brûlis incontrôlés. Et depuis peu, l'Amazonie est sur le point de devenir elle aussi une source de carbone, après l'intensification de la déforestation au cours des quatre dernières années.

Le potentiel régénératif des arbres

Mais tout n'est pas encore perdu : une recherche publiée dans Science en 2019 (2) a utilisé des images satellites pour calculer le "potentiel mondial de restauration des arbres", c'est-à-dire la quantité de terres qui pourraient être transformée en forêts sans endommager les terres agricoles ni les villes existantes. En excluant les arbres existants, ils ont constaté que la Terre pourrait accueillir 0,9 milliard d'hectares supplémentaires de forêts. Équivalente à la surface des États-Unis, une telle zone pourrait stocker 205 milliards de tonnes de carbone, ce qui suffirait à annuler 20 ans d'émissions de CO2 produites par l'homme au rythme actuel !

Une autre étude publiée dans Nature (3) a révélé que les calculs précédents des taux de captation du carbone par les jeunes forêts en croissance étaient sous-estimés de plus de 30 % ! En utilisant ces mesures par défaut, les gouvernements ont peut-être mal évalué les avantages de la repousse naturelle des forêts, et son potentiel en tant que régulateur climatique.

Le plus intéressant est que, dans de nombreux cas, aucune action n'est directement requise. Les habitats dégradés repousseront naturellement si on les laisse tranquilles, et ces forêts en croissance abriteront toutes les espèces natives nécessaires à l'équilibre optimal des écosystèmes.

Tout ce qu'il nous reste à faire, c'est protéger les forêts existantes et donner aux habitats dégradés le temps et les espaces nécessaires à leur régénération.

Bref, nous devons simplement arrêter de détruire.

Au-delà de leur “simple” rôle de captation de carbone, les forêts améliorent le climat de nombreuses manières différentes. Elles absorbent l'eau du sol et libèrent de la vapeur d'eau dans l'air. Ce phénomène est appelé évapotranspiration et un grand arbre en Amazonie peut libérer jusqu'à 1 000 litres d'eau par jour.

Chaque jour, l’ensemble des arbres de la forêt amazonienne libère 30 trillions de litres d'eau dans l'air, ce qui signifie que le plus grand fleuve du monde se trouve non pas sur terre, mais dans les airs ! Ce fleuve volant s'étend de l'océan Atlantique aux Andes, et régule le climat et le taux de précipitations d'une grande partie du continent sud-américain. Sans l'Amazone et ses milliards de pompes à eau vivantes, de grandes parties du continent seraient des déserts, tout comme des régions de l'Australie sous les mêmes latitudes.

Le climat est un système vivant, et les forêts sont d'importants agents au service de ce système.

Un trésor inestimable

Le réensauvagement de la terre et le reboisement des habitats perturbés sont une évidente nécessité, ce qui n'empêche pas des économistes, scientifiques et gouvernements de s'interroger sur la logique économique d'une telle entreprise.

Que l’on soit bien clair, planter une seule espèce d'arbre sur une parcelle afin de récolter son bois pour la construction, ou introduire des arbres étrangers à "croissance rapide" pour accélérer la couverture végétale, n'est pas la même chose que reboiser et ré-ensauvager des habitats.

Restaurer véritablement un écosystème naturel sera différent d’une région à une autre, et nécessitera des connaissances spécifiques sur la flore et la faune locales. Si la véritable reforestation est l'un des meilleurs outils pour pallier les effets du changement climatique, planter des arbres ne nous exempt pas d’éliminer nos émissions de combustibles fossiles.

Les questions relatives au rapport coût-efficacité de la restauration des habitats naturels de notre planète sont évidemment absurdes et n’ont pas lieu d’être. L'humanité a perdu de vue ce qui est important pour sa propre survie. Nous dépensons des milliards de dollars pour une plus grande maison, une voiture plus rapide, le dernier smartphone, la dernière mode et - pour l'homme le plus riche de la planète - voyager 10 minutes dans l'espace.

Mais quand il s’agit d’investir dans la nature, soit la seule chose qui nous maintient en vie, nous sommes réticents. Les programmes de reforestation, de régénération et de réensauvagement sont souvent réalisés par des bénévoles, tandis que des ingénieurs en informatique sont généreusement rémunérés pour concevoir la prochaine génération de smileys...

La nature, le climat, les forêts, les océans et tous les habitats naturels nous maintiennent en vie. Il est temps d'investir notre temps, notre énergie et notre argent en retour, pour garder ces écosystèmes en bonne santé. Notre survie en dépend.

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