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Éloge de la lenteur

1 800 milles nautiques, c'est la distance que nous sommes en train de parcourir depuis Kochi, notre dernière escale en Inde, jusqu’aux Seychelles.

L'Inde fut la terre d’accueil d’Energy Observer durant les dernières semaines. Ce pays magique et incroyablement dynamique nous a plongés dans un rythme effréné le temps de notre escale. Maintenant, après deux semaines de navigation au milieu de l’Océan Indien, nous devons faire face à une toute nouvelle réalité : la nécessité de ralentir.

Notre bateau a eu plusieurs vies. À l'origine catamaran de course construit pour battre des records de vitesse, il fut transformé quelques années plus tard pour devenir ce qu’il est aujourd'hui : un navire laboratoire dont le but est complètement différent. Lorsque nous recevons des personnes à bord, la même question ressurgit : à quelle vitesse naviguez-vous ? Et lorsque nous répondons que notre vitesse moyenne est d'environ 5 noeuds (soit 9 km/h, la vitesse d'un athlète qui court un marathon), les réactions sont parfois surprises.

Pour mettre les choses en perspective, les cargos, ces géants des mers que nous croisons souvent lors de notre Odyssée, atteignent facilement les 20 nœuds, soit une vitesse quatre fois supérieure à la nôtre. Vous seriez également surpris d'apprendre que nous naviguons souvent plus lentement que de nombreux animaux marins. Un espadon, par exemple, a une vitesse de pointe d'environ 100 km/h et pourrait parcourir ces 1 700 milles nautiques beaucoup plus rapidement que nous, en seulement quelques jours contre 18 jours ici.

Cela peut sembler d'autant plus lent dans le monde actuel, où la lenteur est souvent considérée comme un inconvénient. Ce qui est loin d’être le cas, bien au contraire. La lenteur peut nous aider à découvrir la valeur de la nature qui nous entoure, l'importance d'une consommation responsable de l'énergie, et la plupart du temps, elle peut même être belle.

Réduire la vitesse en mer

La plupart des produits que nous achetons en ligne proviennent de l'autre bout du monde, parcourant ainsi des kilomètres par voie maritime pour finir leur course sur le pas de notre porte. D'un simple clic, nous déplaçons toute une flotte et lui demandons d'être aussi rapide que possible. Ce n'est pas un problème lorsque vous disposez de carburants conventionnels. Plus vous voudrez aller vite, plus vous devrez demander de la puissance à vos moteurs, et plus la quantité de carburant nécessaire à embarquer sera importante.

En bref, plus vous avez besoin de puissance, plus vous brûlez de carburant. C'est une équation simple, qui n'est pas sans poser problème. Si nous mettons cela en chiffres : 250 à 300 millions de tonnes, c'est la quantité de carburant consommée chaque année par tous les navires marchands qui sillonnent nos océans, soit une source de pollution dramatique qu'il est urgent et possible de réduire.

La dynamique autour des nouveaux carburants alternatifs est forte : l'hydrogène, l'ammoniac et le méthanol sont autant d'options valables et indispensables pour préserver l'environnement. Pourtant, il existe une solution beaucoup plus simple et immédiate pour amorcer cette transition : la réduction et l'optimisation de la vitesse. Un navire plus lent consomme moins de carburant. En fait, une réduction de la vitesse de 20 % permettrait non seulement de limiter la pollution acoustique sous-marine, mais entraînerait également une réduction de 24 % des émissions de carbone. C'est le moyen le plus simple et le plus économique de réduire les émissions.

Et ce n'est pas tout : rester en dessous de la puissance moyenne permet de réduire la consommation de carburant et donc les coûts opérationnels, ce qui représente un avantage économique considérable pour tous les navires marchands.

Utiliser les énergies de la nature

Energy Observer n'est pas un navire ordinaire : nous avons besoin que le soleil brille sur nos panneaux photovoltaïques, que le vent souffle dans nos OceanWings® et que le courant circule dans la bonne direction. Nous dépendons de la nature, et nous ne pouvons pas aller où nous voulons aussi vite que nous le voulons en brûlant simplement du carburant. Cela se reflète clairement dans notre itinéraire et nous fait prendre conscience, l'équipage et moi-même, que l'énergie n'est pas gratuite et, surtout, qu'elle a une valeur incroyable. Pour atteindre notre destination à temps, nous devons non seulement nous préoccuper des éléments, mais aussi être flexibles, nous adapter aux éléments, et trouver des solutions.

À bord, vitesse et gestion de l'énergie sont étroitement liées. L’objectif étant de rechercher un équilibre entre notre production et notre consommation - si ce n'est instantanément, du moins au quotidien. Lorsque les éléments naturels sont de notre côté, tout cela se passe sans problème. Mais lorsque la quantité d'énergie dont nous disposons est limitée, la navigation devient alors un véritable défi. L'économie d'énergie devient cruciale pour réussir à atteindre notre destination, ce qui signifie que nous devons adapter notre parcours et ralentir.

Il nous arrive ainsi de manger froid pour éviter d'utiliser le four, ou encore d'éteindre l’un de nos frigos ou de couper l'alimentation de toutes les prises pendant quelques heures pour économiser de l'énergie. Nous avons compris que nous pouvons cuire des pâtes sans faire bouillir l'eau, que les ventilateurs consomment moins que la climatisation, et que si nous mettions dans nos moteurs l'énergie nécessaire à la cuisson du pain, nous pourrions gagner quelques nœuds.

A la maison, nous sommes habitués au confort d'être connectés au réseau : lorsque notre ordinateur portable n'est plus chargé, nous le branchons, lorsque nous voulons boire un café, il suffit d'allumer la machine, et en été nous avons parfois du mal à travailler sans climatisation. Toutes ces habitudes demandent de l'énergie et quelque part dans votre pays, voire dans le monde, la production de cette énergie implique un impact sur l'environnement, polluant l'atmosphère. Je vous mets au défi de mesurer la quantité d'énergie que vous consommez chaque jour et de vous fixer une limite. Comme nous le disons à bord, chaque kWh compte. Un kW ne fait peut-être pas la différence instantanément, mais à la fin de la journée, la somme de tous les kW que vous avez utilisés peut changer la donne.

Ralentir présente aussi des avantages : nous apprenons à chaque instant combien l'énergie est essentielle dans nos vies, et combien nous la prenons souvent pour acquise. Nous prenons le temps d'observer toute la beauté qui nous entoure, les animaux osent nous approcher, les dauphins jouent avec les étraves à l'avant du bateau, nous profitons des levers et couchers du soleil. Nous profitons pleinement de notre Odyssée en perdant même parfois… la notion du temps.

Ralentir n'est pas simple, surtout dans le monde effréné dans lequel nous vivons. Il devient urgent de ralentir, et la meilleure énergie reste celle que l'on n'utilise pas, à bord de notre navire laboratoire comme dans notre quotidien en général.

Cela implique un changement de mentalité et quelques efforts. Mais nous n'avons pas le choix, c'est primordial pour protéger l'environnement et, parfois, ce n'est pas si mal !