Aller à la navigation Aller au contenu principal
Toutes nos ressources documentaires

Les défis énergétiques de Singapour

Beatrice Cordiano, notre experte en énergie et en durabilité, offre un aperçu du paysage énergétique de Singapour, principale escale de notre navire en Asie. Le bouquet énergétique de la cité-État reposant aujourd'hui presque entièrement sur les combustibles fossiles, les défis à relever pour atteindre la neutralité carbone sont immenses.

Energy Observer à Singapour

Singapour se trouve à environ 85 milles au nord de l'équateur, à l'extrémité sud de la péninsule malaise. Historiquement habitée par des pêcheurs, Singapour (Singapura à l'origine, "Ville du lion") servait d'avant-poste pour l'empire Sumatrans de Srivijava. La ville est ensuite entrée dans une ère de prospérité en devenant l'une des plus grandes bases navales de la région grâce à la demande de caoutchouc et d'étain de l'Occident, sous l'Empire britannique et après la construction du canal de Suez en 1869.

Séparée de la Malaisie par le détroit de Johor et de l'Indonésie par le détroit de Singapour, cette cité-État de 63 îles possède aujourd'hui le plus grand port d'Asie du Sud-Est et l'un des plus actifs au monde en termes de tonnage maritime. Singapour doit sa popularité à sa position stratégique sur le détroit de Malacca, une importante route maritime reliant l'océan Indien à la mer de Chine méridionale.

Singapour, carrefour maritime dépourvu de ressources naturelles

Depuis 1960, Singapour connaît une croissance et une diversification économiques qui lui ont permis d'acquérir le rôle de plaque tournante du commerce mondial. Une position lui ayant permis de se hisser au 3e rang des plus grands centres de change et de devenir l'un des quatre tigres asiatiques, aux côtés de Hong Kong, la Corée du Sud et Taïwan. Bien que son économie soit l'une des plus avancées de l'Asie du Sud-Est, il existe une différence avec ses pays voisins : Singapour ne dispose pas de grandes ressources naturelles et n'a donc jamais été principalement tributaire de la production et de l'exportation de ses propres produits.

C'est pourquoi la cité-État a toujours mené une politique d'industrialisation orientée vers l'exportation, en expédiant des matières premières en échange de produits manufacturés. C'est le cas du pétrole, qui a toujours été importé sous sa forme brute et exporté sous forme de pétrole raffiné, représentant environ 15% de la valeur des exportations de Singapour.

Décarbonation de l'énergie : la route est longue

La manière dont l'énergie est produite dans un pays devient de plus en plus importante, à mesure que la volonté de s'affranchir des combustibles fossiles au profit de sources d'énergie à bas carbone se fait plus pressante. Comme beaucoup d'autres cités-États dans le monde, Singapour doit faire face à certains défis, le principal résidant dans le paradoxe entre ses modestes dimensions et sa nature insulaire et une économie en pleine expansion, ce qui rend d'autant plus difficile le passage à un modèle énergétique durable.

Avec une demande d'énergie primaire de 986 TWh en 2019 - 3,6 fois plus élevée qu'en 1990 - le mix énergétique de Singapour est basé sur les énergies fossiles à hauteur de 99,76%. Le pays ne dispose pas de ressources en hydrocarbures et reçoit d'immenses quantités de pétrole brut du Qatar, de l'Arabie saoudite et du Koweït, qui est raffiné - s'il ne l'exporte pas - pour son propre usage. Il est en effet plus facile d'importer des combustibles fossiles que des énergies propres, surtout quand on est le 3e centre mondial de raffinage et de commerce du pétrole.

Le pétrole est ainsi un acteur majeur du mix énergétique primaire, dont il représente 86 %.

Arrivée à Jakarta

Le gaz naturel, un vecteur de transition ?

L'électricité est devenue un élément essentiel dans le développement d'une économie moderne, apportant beaucoup de confort dans notre vie quotidienne : avoir de la lumière la nuit, cuisiner, faire la lessive ou connecter des personnes dans le monde entier. Il est impossible d'imaginer notre vie sans elle. L'électricité peut être produite de différentes manières, mais à Singapour, c'est le gaz naturel qui l'emporte. Près de 95 % de la production d'électricité provient du gaz, importé par des tuyaux depuis ses voisins ou sous forme liquéfiée depuis le monde entier.

Mix électrique de Singapour

De nombreuses personnes affirment que le gaz naturel est le "carburant de l'avenir". C'est vrai dans une certaine mesure : c'est une ressource disponible, son énergie peut être exploitée à la demande, il émet moins que les autres combustibles fossiles lorsqu'il est brûlé. Pourtant, il est impossible d'oublier que malgré ces avantages, il ne s'agit pas d'une source d'énergie renouvelable, il émet toujours des gaz à effet de serre, non seulement lors de son utilisation, mais aussi lors de son extraction et de sa production. De plus, le gaz naturel est principalement composé de méthane, et le méthane est l'un des gaz ayant le plus d'impact en termes de réchauffement de la planète : lorsqu'il se retrouve dans l'atmosphère, il survit moins que le CO2, mais il est jusqu'à 36 fois plus puissant.

Changer de modèle est tout sauf évidente. La transition demande beaucoup d'efforts et un temps précieux dont nous manquons. Il est donc essentiel non seulement de développer des solutions à faible ou zéro émission de carbone, mais aussi de les déployer à grande échelle pour pouvoir diminuer concrètement les émissions sur le long terme.

Le solaire face au manque d'espace disponible

Le secteur de l'électricité de Singapour, reposant sur le gaz, est à l'origine de 40 % des émissions de CO2 du pays ; sa décarbonation est donc essentielle à la feuille de route climatique du pays. Néanmoins, la volonté de se tourner vers les énergies renouvelables pour réduire l'empreinte carbone fait face aux limites physiques du territoire.

La plupart des énergies renouvelables autres que le solaire ne sont pas exploitables : il y a trop peu de vent pour les éoliennes, pas de fleuves majeurs pour l'hydroélectricité. Le pays est ainsi contraint d'exploiter ces ressources là où elles sont disponibles, notamment en important de l'énergie à faible teneur en carbone depuis l'étranger. Au-delà du manque de ressources propres, l'espace disponible est un autre obstacle à surmonter.

  • Tour d'Ashalim, Israël
  • Tour d'Ashalim, Israël
0/0

Singapour est le 3e pays le plus densément peuplé au monde, chaque recoin est couvert de bâtiments et les grandes centrales électriques renouvelables sont difficiles à installer. Par conséquent, les installations solaires photovoltaïques en toiture et flottants sont la seule option renouvelable fiable et rentable sur le territoire afin de réduire la dépendance aux combustibles fossiles et faire face aux contraintes foncières.

La cité-État a accéléré le déploiement de systèmes solaires photovoltaïques sur les toits et les murs et, dans sa quête perpétuelle d'espace disponible, elle a commencé à parier sur les surfaces aquatiques comme solutions permettant de gagner de l'espace, en construisant l'une des plus grandes fermes solaires flottantes du monde sur le réservoir Tengeh.

Avec 443,5 MWp installés à la fin de 2021, Singapour est devenue l'une des villes les plus denses en énergie solaire au monde.

Le défi de la sécurité énergétique

Singapour a avancé des politiques énergétiques considérables : elle vise à plafonner ses émissions d'ici 2030 pour atteindre la neutralité carbone dans la seconde partie du siècle et elle y parviendra en améliorant l'efficacité énergétique de 36 % par rapport aux niveaux de 2005 et en portant la capacité solaire à 2 GWp. L'énergie solaire ne suffira certainement pas à répondre à l'ensemble de la demande d'électricité, elle ne pourra en effet en couvrir qu'environ 4 %.

C'est pourquoi le pays a décidé d'importer de l'électricité propre pour couvrir 30 % de ses besoins d'ici à 2035. Il s'agit d'une bonne stratégie pour une cité-État aux objectifs si ambitieux, mais malheureusement, cet objectif a déjà rencontré un obstacle lorsque la Malaisie a interdit les ventes d'énergies renouvelables l'année dernière pour donner la priorité à sa propre décarbonation.

L'insécurité et la dépendance énergétiques rendent cette transition d'autant plus complexe : il n'est pas toujours facile d'importer de l'électricité, surtout si elle doit être à faible teneur en carbone. Elle peut aussi ne pas être bon marché : les coûts de production peuvent être plus faibles, mais les coûts de transmission, de secours et d'amélioration du réseau peuvent être plus élevés.

Il ne suffit pas de réduire la consommation de combustibles fossiles pour lutter contre le réchauffement de la planète. Nous devons verdir le bouquet énergétique, en ajoutant davantage d'énergies renouvelables et en développant et en améliorant la manière dont nous stockons l'énergie. Parfois - et c'est le cas - cela n'est ni immédiat ni trivial, et les voies menant à la décarbonation doivent être repensées.

Victorien Erussard visite SembCorp Marine, Singapoour

Repenser la décarbonation avec l'hydrogène bleu

L'hydrogène est un élément incroyablement polyvalent et il peut être produit de diverses manières, plus ou moins polluantes : à partir de combustibles fossiles - notamment le gaz naturel - ou d'eau.

Repenser la feuille de route énergétique et produire de l'hydrogène vert à l'échelle en utilisant l'électricité renouvelable locale sera un défi dans un petit pays extrêmement urbanisé comme Singapour. Néanmoins, cela ne semble pas arrêter la course de la ville pour atteindre le net zéro.

Dans ce cas, l'hydrogène pourrait être extrait du gaz naturel en grandes quantités, et le dioxyde de carbone résultant du processus pourrait être conservé grâce aux technologies de captage, d'utilisation et de stockage du carbone (CCUS), puis soit injecté et stocké de manière permanente dans des cavités souterraines, soit utilisé comme matière première pour produire - entre autres - des carburants de substitution.

Production de l'hydrogène gris, bleu, vert

Il est parfois nécessaire d'adapter les solutions en fonction des ressources disponibles. Dans ce cas, le couplage de la production d'hydrogène et des technologies avancées à faible émission de carbone peuvent assurément représenter une option à long terme pour diversifier la palette de carburants du pays et réduire les émissions de carbone liées à la production d'électricité, aux processus industriels et aux transports lourds.

Pour le climat, l'endroit où la réduction des émissions a lieu n'a pas vraiment d'importance. Néanmoins, dans un monde où chacun est en concurrence sur sa performance écologique, des endroits comme Singapour - dont la transition dépend inévitablement des autres - peuvent être considérablement désavantagés.

C'est pourquoi il est essentiel de trouver des approches innovantes fondées sur les atouts locaux pour commencer à décarboner nos économies, et ce le plus tôt possible, le temps que les solutions long-terme soient déployées massivement et deviennent abordables.