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Journée mondiale des Océans : pour que vive le monde du silence

Plonger un hydrophone dans l’eau, c’est redécouvrir le monde sous-marin à travers les oreilles, et non les yeux, de ses habitants. Pour cette Journée Mondiale de l’Océan, le thème proposé par les Nations Unies en 2020 est « Les Innovations pour un Océan Durable ». Dr. Katia Nicolet, scientifique embarquée à bord d’Energy Observer, vous propose de revisiter une problématique mal connue: la pollution sonore dans les océans, et comment y remédier.

Le chant des océans

Depuis Cousteau, l’océan a été perçu comme le monde du silence. Ce concept ne pourrait être plus éloigné de la réalité. Cette immensité bleue est remplie de messages sonores voyageant sur des centaines de kilomètres, transmettant des informations et gardant des liens sociaux entre les créatures sous-marines.

Les juvéniles de poissons de récif, par exemple, vivent sous forme de larves en haute-mer et trouvent le chemin du récif grâce à son bruit. Ce fait est même utilisé pour aider le recrutement de juvéniles sur des récifs endommagés. Après un évènement de blanchissement corallien, par exemple, les poissons perdent leur maison, le récif s’éteint et devient silencieux. Les juvéniles sont alors désorientés. Certains scientifiques ont réussi à augmenter le taux de recrutement de jeunes poissons en émettant des sons de récifs en bonne santé pour les guider.

Les mammifères marins, comme les dauphins et les baleines, consacrent trois fois plus de neurones à l’audition que les mammifères terrestres. C’est à travers leurs chants et leurs clics que ces créatures communiquent entre elles, trouvent des partenaires, chassent leurs proies, se dirigent et perçoivent leur environnement.

Ce monde obscur est plein de bruits, un véritable chant de vie sous-marine.

Pollution sonore chronique

Il existe deux types de pollutions sonores, une pollution chronique et une aigue.

La pollution sonore chronique est le résultat du trafic maritime, et ce tapage double tous les dix ans depuis les années 80. Chaque navire émet des vibrations, des bruits de moteur, de pompes de refroidissement, de cavitation des hélices, etc… Ce brouhaha a un impact sur toute la vie sous-marine.

Chez les mammifères, cela les empêche de communiquer, de trouver un partenaire ou de chasser. Quand la pollution n’est pas trop forte, les cétacés augmentent le volume de leurs chants et clics, comme quand nous élevons la voix pour parler au-dessus d’une musique trop forte. Mais si le volume de la pollution sonore s’élève encore, les cétacés se taisent.

Il a aussi été prouvé qu’une pollution sonore constante augmente le niveau de stress des cétacés ; et chez les orques, une augmentation du bruit provoque une diminution de 25% de leur temps de chasse. Chez les autres espèces marines, il a été démontré que certains crabes passent plus de temps à patrouiller pour se protéger d’un danger inexistant, plutôt que de s’occuper de leurs œufs. Une espèce de poisson demoiselle, Pomacentrus amboinensis, peine à percevoir ses prédateurs et voit ses chances de survie diminuer par deux lorsqu’il est exposé à des bruits de bateaux trop élevés.

Pollution sonore aigüe

Les pollutions sonores aigües sont encore plus alarmantes. Elles sont causées par les opérations de prospection sismique par canons à air comprimé. Cette technique est utilisée pour détecter des gisements de pétrole dans les fonds marins, déployant 30 à 40 canons à air qui détonnent au même moment. Ces déflagrations sont équivalentes à un décollage de fusée ou à une éruption volcanique sous-marine. Et ces explosions sont répétées toutes les 9 à 12 secondes, pendant des semaines, voire des mois. Ces techniques émettent entre 220 et 250 décibels (le seuil de douleur est à 120 dB), un son tellement puissant qu’une prospection en Irlande peut être entendue à travers l’Atlantique, jusqu’à la côte Est des États-Unis.

Chez les cétacés, cette pollution sonore aigüe les blesse physiquement, causant des pertes d’audition, mais également des hémorragies du cœur et du cerveau, pouvant aller jusqu’à la mort de l’animal. Même lorsque ces explosions ne les tuent pas, elles causent des désorientations et des paniques qui provoquent des échouages en masse.

Photographie d'un groupe de dauphins échoués sur les côtes d'Europe du Nord

Certaines baleines ont été vues se cachant derrière des rochers pour se protéger du bruit, ou remontant rapidement à la surface, tentant de garder leur tête et leurs oreilles hors de l’eau.

L’impact de ces prospections sismiques sont encore mal connues sur le reste des créatures sous-marines. Pourtant, les preuves s’accumulent et sont effrayantes. En Espagne, entre 2001 et 2003, des échouages en masse de calamars géants ont été observés après l’utilisation de canons à air comprimé. Une étude exposant des poulpes, seiches et calamars à une pollution sonore en laboratoire démontre aussi que des sons à faible intensité et basse fréquence (50 à 400 hertz) causent des lésions et des ruptures dans le statocyste, l’organe responsable de l’équilibre, l’orientation et l’audition chez les invertébrés. Il est fort probable que la pollution sonore sous-marine perturbe les céphalopodes dans leur capacité à chasser, échapper aux prédateurs et même à se reproduire.

Encore plus problématique, l’utilisation des canons à air comprimé décime le zooplancton, ces organismes minuscules à la base de la chaîne alimentaire sous-marine. La déflagration est telle qu’elle tue le plancton jusqu’à 1,2km de distance – la distance maximale mesurée, ce qui laisse à penser que l’impact pourrait être plus grand. Détruire le plancton est l’équivalent aquatique de brûler une forêt, réduisant à néant la base même de l’écosystème.

Les innovations et solutions

Ne sous-estimons pas l’impact de la pollution sonore. À Guantanamo, les prisonniers sont torturés par des chansons passées en boucle à volume élevé pendant des jours et des jours, le but étant de faire perdre aux prisonniers leur santé mentale. Ce que l’on fait aux organismes marins n’est pas si différent.

Pourtant, il existe des solutions pour diminuer notre impact sonore sur le monde marin.

Une nouvelle technique de prospection sismique appelée Vibroseis pourrait diminuer la quantité de pollution sonore. Malheureusement, Vibroseis utilise également une amplitude de 210 dB, mais sur un temps plus court et sans une « traîne » sonore forte (entre 170 et 210 dB) inutilisable pour la prospection sismique. Donc cette nouvelle technique a moins de « déchet » de pollution sonore, mais est loin d’être anodin pour les organismes marins.

En ce qui concerne la pollution sonore maritime, le simple fait de surélever les machines pour qu’elles ne touchent plus la coque des bateaux permet de diminuer drastiquement le son transmis dans le milieu marin. Les systèmes de propulsion sans engrenage à pods sont également prometteurs dès lors qu’ils sont couplés à une pile à combustible. De meilleures hélices, qui évitent la cavitation (création de bulles d’air dans le train d’hélice), augmentent également le rendement du navire et diminue son émission de bruits parasites. Le moteur électrique reste très certainement le meilleur moyen de diminuer notre impact, car ce moteur ne produit pas d’explosion, nécessite moins de pièces mécaniques en mouvement et donc pas ou peu de refroidissement. Tous ces facteurs le rendant bien plus silencieux que son homologue à essence.

Energy Observer prouve depuis 3 ans que l’utilisation de la propulsion électrique, même hauturière, est réalisable. Grâce au vent, au soleil et à l’eau, il est possible de produire sa propre énergie électrique, la stocker sous forme d’hydrogène et l’utiliser au moment opportun. Cette révolution énergétique en mer permet de voyager sans polluer. Sans polluer l’eau et sans polluer les oreilles des habitants de l’océan.